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Lausanne Cités

Résumé:
Deux anciennes assistantes sociales de la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ) dénoncent de graves dysfonctionnements dans la gestion des dossiers de protection des mineurs dans le canton de Vaud. Elles pointent une surcharge de travail systémique, une rotation excessive du personnel, et une culture du « rendement » incompatible avec le respect des enfants et des familles.
Les agissements de la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse sont régulièrement questionnés par la presse et les parents concernés. Deux ex-assistantes sociales de ce service de l’État dénoncent ses « dysfonctionnements »
Lausanne Cités : Vous dites que « la DGEJ fait de l’abattage ». En quoi ?
Rita : Dans les offices régionaux pour la protection des mineurs, beaucoup d’assistantes sociales sont en charge de 70 à 80 « situations » contre une soixantaine officiellement et ne peuvent donc y consacrer que deux heures par mois. Il est où le respect de l’enfant ? À l’interne, c’est vu comme de « l’abattage ».
Marie : Respecter notre cahier des charges en allant voir régulièrement les familles est impossible. Chaque mois, on passe au mieux 1h30 avec chacune. Il y a un gros tournus. Plus de la moitié de certaines équipes a démissionné depuis 2023 !
Rita : Les RH en recrutent d’autres et ça recommence… La plupart des assistantes sociales subissent, cherchent un poste ailleurs ou serrent les dents.
Cette surcharge de travail implique de longues listes d’attente, lesquelles péjorent les situations…
Rita : À la DGEJ, la plupart des dossiers sensibles mettent six à douze mois avant d’être traités et en attendant le père ne voit pas son enfant. Alors qu’il faudrait faire rapidement une première lecture de situation pour voir s’il y a possibilité de rétablir le contact.
Marie : Et dans les structures proposant des visites médiatisées entre le parent-visiteur et son enfant, et/ou dans le cadre d’un travail autour de la coparentalité, telles que les Boréales ou Point Rencontre, l’attente est parfois d’un an ! J’ai vu des « mères-gardiennes », elles-mêmes, désemparées par ces lenteurs…
Si une mère accuse le père de violences ou d’abus sexuels, la machine se met en branle
Marie*, ex-assistante sociale de la DGEJ
Les jeunes assistants sociaux sont-ils véritablement outillés pour pouvoir faire face à des cas aussi difficiles ?
Rita : À peine diplômés, les jeunes assistants sociaux se voient confier des situations avec garde et droit de visite. Avant, il fallait cinq ans d’expérience pour cela…
Marie : Ils sont mal armés pour affronter les réalités de terrain. Alors ils se protègent, au lieu d’admettre qu’ils ne sont pas à la hauteur.
Rita : Les enfants ne devaient pas être vus seulement au domicile du « parent gardien ». C’est primordial pour avoir une vue juste de la situation mais c’est loin d’être systématique. Et lorsqu’il y a un dossier pénal, il n’y a pas d’obligation de le consulter !
Selon vous, « ne pas faire de vagues » serait le mot d’ordre de la DGEJ…
Rita : Protéger le service et fermer les dossiers rapidement sont les priorités. On nous pousse à ne pas « remuer la merde » pour éviter d’avoir plus de problèmes… En réunion, on parle souvent plus des conditions de travail que des enfants. Les hiérarchies font mine de s’intéresser mais réprimandent. On n’est pas soutenus.
Marie : Avec Madame Schick, l’accent a été mis sur les aspects administratifs, comme le journal de bord qui est un moyen de dire : « on a fait notre travail ! ». Moi, je préfère consacrer mon temps aux enfants… Deux collègues qui privilégiaient justement « trop » le terrain se sont même fait licencier !
Comment les personnes chargées de ces situations familiales délicates font face à titre personnel ?
Rita : Autant parmi les assistants sociaux que parmi les juges de paix, chargés de juger ces affaires, il y a peu, voire pas d’empathie et parfois même un certain « je m’en foutisme »… Si ces personnes étaient privées de leurs propres enfants, elles verraient les choses autrement !
Marie : Pourtant, se mettre dans la réalité de l’autre puis être capable d’en sortir est une qualité indispensable pour bien gérer ce type de situations et ses dossiers et être capable de remettre en cause son postulat de départ plutôt que de chercher par tous les moyens à le confirmer…
Vous dénoncez un « parti pris pro-mères » et une « instrumentalisation de la victimisation », de quoi s’agit-il ?
Rita : Les assistantes sociales sont trop souvent pro-mères. Et le « parent visiteur », qui est généralement le père, n’est souvent pas consulté. Et s’il est accusé du pire à tort et innocenté, ce n’est pas pour autant qu’il peut revoir ses enfants. Notons aussi que le « parent gardien » n’est presque jamais condamné pour diffamation. Nombre de mères se sont convaincues qu’elles sont victimes. Certaines surfent sur « me too » et sur la hausse des féminicides. Un jour, on ne croira plus les véritables victimes !
Marie : Je suis atterrée par ces dérives pseudo féministes. Si une mère accuse le père de violences ou, et c’est là l’arme fatale, d’abus sexuels, c’est parole d’évangile et la machine se met en branle. Si un père dit la même chose, c’est un pervers narcissique manipulateur. La DGEJ oublie que la violence s’exerce aussi psychologiquement et que les femmes ne sont pas les seules à en être victimes.
Rita : Les véritables victimes de graves violences n’ont plus l’énergie psychique d’accabler l’autre parent… Bien sûr qu’il y a des pères violents mais il n’y a de loin pas que ça ! On sent chez certaines mères la volonté farouche d’effacer le père de la vie de leur gamin.
Marie : C’est une violence énorme faite à l’enfant et qui a de lourdes conséquences sur le reste de sa vie…
En miroir, les pères seraient selon vous « maltraités » par la DGEJ. En quoi ?
Rita : Bien souvent, le père ne sera pas entendu au même niveau que la mère. S’il a le malheur de s’énerver face à l’injustice, cela renforce le préjugé qu’il est le problème. Les expertises pédopsy sont souvent biaisées car basées sur le postulat qu’il est dangereux. L’obligation de tout tenter pour rétablir une relation père-enfant apaisée est rarement respectée. Et au final, on attend benoîtement que l’enfant se sente prêt à revoir son père. Or, cela n’arrive pas ou bien plus tard car il est si facile, mais si destructeur, pour le parent-gardien de conditionner son enfant…
Marie : Si la « mère-gardienne » n’amène pas son enfant au Point Rencontre, elle n’est pas sanctionnée. Si le père ne vient pas, il y a suspension de ses visites !
La DGEJ ne travaille que dans l’intérêt supérieur de l’enfant
Manon Schick, directrice générale de la DGEJ, a mandaté sa responsable communication Elodie Masson pour nous répondre par écrit
L’augmentation du nombre de situations suivies par la DGEJ a débouché en 2023 sur la création d’un 5e ORPM. Depuis, chaque ASPM à 100 % gère un peu plus d’une soixantaine de situations, ce qui est conforme à la loi sur la protection des mineurs. Le travail d’ASPM est exigeant et nécessite une formation supérieure, des compétences pointues et une personnalité adaptée. Le recrutement rigoureux y veille. Le turn-over des ASPM est une réalité, laquelle touche d’ailleurs tout le secteur social. Les recommandations de la DGEJ ainsi que les décisions de justice sont toujours prises dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’objectif est de trouver des solutions constructives, en collaboration avec les familles lorsque cela est possible. Les chiffres 2024 montrent que 88 % des enfants suivis par la DGEJ bénéficient d’un encadrement socio-éducatif avec la collaboration active des parents. Le placement hors du milieu familial est une solution de dernier recours qui concernait seulement 12 % des situations cette année-là (ndlr : soit un peu moins de 1000). La DGEJ n’a aucun parti pris pour l’un ou l’autre des parents. Elle ne travaille que dans l’intérêt supérieur de l’enfant et est guidée par l’équité de traitement. La DGEJ et l’Ordre judiciaire vaudois ont mis sur pied en 2023 un projet pilote de consensus parental visant à aider les couples à se séparer dans le respect des droits et besoins de leurs enfants.
Que dire des rapports justice–DGEJ ?
Rita : La justice suit les rapports de la DGEJ dans 99 % des cas. Les juges font confiance aux professionnels et ont peur de ne pas donner suite à leurs propositions.
Marie : Les collègues sont peu formés sur la systémie familiale ou aux techniques d’entretien. Cette lacune, couplée aux a priori de genre, débouche sur des rapports biaisés que la justice croit professionnels et de bonne foi…
On a l’obligation de rétablir une relation saine entre les enfants et leurs deux parents mais on est très loin de toujours le faire Rita*, ex-assistante sociale de la DGEJ
Début 2024, une pétition demandant qu’un organe de contrôle et de surveillance indépendant de la DGEJ soit mis sur pied. Que vous inspire ce texte récemment classé par le Grand Conseil ?
Marie : Il demandait aussi que tous les entretiens entre les familles impliquées et la DGEJ soient enregistrés. Cela se fait dans d’autres pays. Tout cela devient urgent pour s’extirper enfin de cet entre-soi !
Rita : Un double regard sur ces situations conflictuelles manque cruellement…
Comment voyez-vous l’avenir ?
Rita : Les souffrances profondes nées de la mauvaise gestion de certains dossiers font des dégâts sur plusieurs générations ! Les pères sont à bout mais on a l’impression qu’il faudra un nouveau drame pour tout remettre à plat !
Marie : Un enfant a droit à ses deux parents. Notre Canton bafoue la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU !
Propos recueillis par Laurent Grabet
*Prénoms d’emprunt
Laurent Grabet Journalist
Y a-t-il un souci à la DGEJ?
Cela fait des années que nous recevons des témoignages de parents fustigeant la manière dont la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ) gère leur dossier et leurs enfants. Ces paroles, émanant pour la plupart de pères, relèvent toutes du cas particulier. Probablement sont-elles teintées d’une certaine aigreur née d’années de souffrances. Mais leur répétition et leurs similitudes interrogent. Quelque chose cloche-t-il à la DGEJ et les enfants concernés en font-ils les frais? C’est en enquêtant que notre chemin a croisé celui de deux « repenties » de ce puissant service de l’Etat. Leurs constats recoupent ceux des parents concernés. Gauche dans ses bottes, la parole officielle de la DGEJ vient les contredire. Mais une chose est évidente : acculés par la surcharge de travail et la difficulté des situations à gérer, et parfois même aveuglés par des lunettes idéologiques, les professionnels de la DGEJ peinent à faire passer le bien-être des mineurs avant tout, alors même que la convention des droits de l’enfant de l’ONU les y contraint. Un exemple édifiant : dans un des dossiers épluchés, la DGEJ trouve tout à fait adéquat qu’un enfant de même pas cinq ans ne voie son papa (non maltraitant) qu’une heure toutes les trois semaines ! Comment comprendre qu’une pétition réclamant l’instauration d’un organe indépendant de contrôle de la DGEJ ait été balayée d’un revers de main ce 1er avril par les députés du Grand Conseil ? Et ce au motif un brin léger qu’« il faut faire confiance à cet organe de l’Etat », lequel ne dispose pourtant pas de véritable contre-pouvoir l’aidant à s’améliorer et à sortir de son entre-soi délétère.