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Tagesanzeiger

Résumé:
Il n’existe cependant pas de droit systématique à la garde alternée selon les directives internes des tribunaux zurichois. Nicolas von Werdt, président de la deuxième Cour de droit civil au Tribunal fédéral, adopte une perspective différente. Selon lui, la garde alternée doit être rendue possible lorsqu’elle fait l’objet d’un souhait et que les critères définis par le Tribunal fédéral sont remplis.
L’espoir des pères est justifié
Le souhait de l’enfant doit être pris en compte
dit le juge fédéral Nicolas von Werdt. Il n’existe cependant pas de droit systématique à la garde alternée selon les directives internes des tribunaux zurichois. Nicolas von Werdt, président de la deuxième Cour de droit civil au Tribunal fédéral, adopte une perspective différente. Selon lui, la garde alternée doit être rendue possible lorsqu’elle fait l’objet d’un souhait et que les critères définis par le Tribunal fédéral sont remplis.
Les tribunaux zurichois ont rédigé des directives pour la nouvelle loi sur l’entretien. Qu’en pensez-vous ?
C’est une bonne chose que les tribunaux s’interrogent sur un modèle à suivre avant l’entrée en vigueur de la loi. Il reste que chaque cas doit être examiné séparément, car ce serait problématique si un tribunal se prononçait en ne se référant qu’aux directives. Il s’agit là davantage de détails techniques tels que le calcul de la contribution d’entretien.
Certains juristes reprochent à la nouvelle loi sur l’entretien d’être formulée de façon trop imprécise. Comment voyez-vous cela ?
En tant que juge, j’aurais préféré des recommandations plus précises. Il y a chaque année 16 000 divorces dont beaucoup impliquent des enfants. Environ 500 cas finissent au Tribunal fédéral, ce qui est relativement peu. C’est parce que les parties peuvent s’orienter sur la base d’une jurisprudence claire. De façon générale, des règles claires profitent à la société parce qu’il n’est pas nécessaire que tous les litiges aboutissent au tribunal. Seuls les cas très conflictuels parviennent au Tribunal fédéral. Nous prononçons alors des jugements sur des configurations qui sortent de l’ordinaire. Cela prendra donc un peu de temps jusqu’à ce qu’on puisse y voir clair de nouveau.
Conformément aux directives, les tribunaux zurichois souhaitent systématiquement se tenir à la règle des 10/16 ans auprès des époux séparés. Le Tribunal fédéral veut que cette règle soit réexaminée. Qu’en dites-vous ?
La règle des 10/16 ans dit que l’époux qui assumait l’essentiel de la prise en charge de l’enfant jusque-là n’est pas tenu de reprendre une activité professionnelle avant que l’enfant le plus jeune ait atteint l’âge de 10 ans, d’abord à temps partiel, puis à plein temps à partir des 16 ans révolus. Cette règle a été développée dans l’intérêt du conjoint qui a renoncé à une activité rémunérée pour s’occuper personnellement des enfants. Il s’agissait de préserver la confiance par rapport au maintien de la répartition des tâches telle qu’elle avait été décidée par le couple durant la vie commune ; des considérations quant au bien-être de l’enfant n’étaient pas mises en avant. Je constate que ces dernières années, le Tribunal fédéral n’a annulé aucune décision [d’un tribunal cantonal] au seul motif qu’une situation dérogeait à cette règle. La société a évolué. Mon pronostic personnel est que cette règle va tomber en désuétude.
Dans son message, le Conseil fédéral en vient pratiquement à l’exiger. À quel point les tribunaux sont-ils tenus d’adhérer à cette incitation?
Je prends le message au sérieux. Au Tribunal fédéral, nous avons la mission de tester les nouveaux principes susceptibles de faire office de règles, à l’instar de la règle allemande selon laquelle la présence personnelle du parent n’est une priorité que pour les trois premières années de la vie de l’enfant, celui-ci pouvant ensuite aller au jardin d’enfants. Début 2017, la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) a même réduit cette limite à une année. Lorsque l’enfant atteint l’âge d’un an, il devient envisageable de reprendre une activité professionnelle. C’est maintenant à la jurisprudence de développer un nouveau modèle.
La nouvelle loi promeut-elle l’activité professionnelle des deux parents ?
Il ne s’agit pas de sa fonction première, la maxime est le bien-être de l’enfant. La loi sur l’entretien dit cependant que la présence personnelle du parent n’est pas à privilégier par rapport à la garde par un tiers. La loi promeut ainsi, au sens large, l’activité professionnelle des femmes. Les mères doivent par conséquent travailler dès qu’elles le peuvent. Maintenant, ceci entre en contradiction avec la contribution d’entretien qui vient d’être introduite. Car si la mère travaille et subvient à ses propres besoins, elle ne peut pas avoir droit à une contribution pour la prise en charge de l’enfant. Il s’agira alors de partager uniquement les coûts relatifs à l’enfant et les frais de garde par un tiers. Les questions centrales consistent donc à savoir quand, au regard du bien-être de l’enfant, on peut demander à la personne qui a la garde principale d’aller travailler, et si le choix de s’occuper personnellement de l’enfant lui revient. Les tribunaux doivent définir s’il y a un droit du choix et le cas échéant, l’âge limite de l’enfant.
On entend souvent le terme « bien-être de l’enfant ». Les tribunaux savent-ils à quoi équivaut le bien de l’enfant ?
Il y a des situations extrêmes où il est possible de donner une réponse tranchée, comme lorsqu’il y a violence ou si un enfant handicapé nécessite une prise en charge personnalisée. Mais sinon, c’est difficile. Les études sur la psychologie de l’enfant disent des choses que vous ne voudriez pas entendre. Par exemple, la prise en charge par un tiers serait bénéfique pour les enfants issus de l’immigration. Ils sont ainsi intégrés et ne restent pas accrochés à leur culture d’origine. Ou encore, les enfants de parents moins intelligents seraient mieux pris en charge par un tiers que par leurs propres parents. Ces critères ne viennent en considération que dans des cas extrêmes de notre jurisprudence.
Les pères nourrissent de l’espoir parce que la garde alternée devrait être dorénavant promue. Cet espoir est-il justifié ?
Il est tout à fait justifié. L’automne dernier, le Tribunal fédéral a exposé dans deux arrêts les critères d’après lesquels il convient d’évaluer si la garde alternée est indiquée : les capacités éducatives, la distance géographique, la possibilité d’une prise en charge personnelle pour les petits enfants, la capacité de coopération et la volonté de l’enfant. Est-ce que l’enfant est interrogé ? Oui, c’est ce que nous avons stipulé dans les considérants de notre jugement faisant jurisprudence. Le souhait de l’enfant doit être pris en compte. On doit par contre vérifier si ce souhait est véritable ou bien l’expression d’une influence. Car dans une situation de séparation, chaque enfant se trouve dans un conflit d’intérêt. Il aime probablement ses deux parents de façon égale et ne veut en décevoir aucun. Le souhait de l’enfant ne peut être déterminé que sur la base d’une interrogation conduite par un spécialiste. Avec le nouveau droit de la famille, on est davantage amené à clarifier la volonté de l’enfant.
Un point délicat est la capacité de coopération. Si l’un des parents met des bâtons dans les roues, peut-il empêcher qu’une garde alternée ait lieu?
Les circonstances où un parent s’y oppose ne suffisent pas à invalider le dispositif de la garde partagée. Sinon, on aurait affaire à un droit de veto et on ne veut pas cela. Mais si les parents se battent par principe et de manière systématique pour tout ce qui touche les enfants, la garde alternée peut être revue au regard du bien-être de l’enfant.
Si un parent ne souhaite pas la garde alternée, doit-il alors faire obstruction ?
Cela se verrait et ne serait pas défendable. Lorsque le comportement d’un parent contredit l’intérêt de l’enfant, ses capacités éducatives sont remises en question. Or les capacités éducatives sont un prérequis pour l’attribution de la garde exclusive.
Est-ce qu’il est déjà arrivé que les capacités éducatives soient contestées à cause du manque de coopération ?
Oui. Mais il en faut beaucoup. Nous avons eu un cas où une femme a été mise en garde parce qu’elle tentait d’isoler l’enfant de son père. La tolérance au lien, à savoir la disposition d’un parent à encourager la relation de l’enfant avec l’autre parent, fait partie intégrante des capacités éducatives. Lorsqu’il s’agit de déterminer la fréquence à laquelle l’un ou l’autre parent a le droit de voir les enfants, la stabilité est souvent perçue comme un facteur important. Mais les pères ont perdu la bataille d’avance puisqu’il n’existe pas de congé paternité. Le congé maternité ne constitue pas à lui seul le fondement d’une situation stable. La question est de savoir comment la jurisprudence va traiter les cas où les pères n’ont pas gardé leurs enfants lorsqu’ils étaient en couple mais souhaitent le faire après la séparation. Dans ces cas-là, tout dépend des motifs du père. Pourquoi n’a-t-il pas gardé les enfants avant, pourquoi veut-il le faire maintenant ? Si par exemple, il travaillait à plein temps afin d’optimiser la situation financière de la famille alors qu’il aurait peut-être voulu s’occuper de ses enfants, sa motivation principale, c’est à dire la famille, devient caduque avec la séparation. Il semble alors légitime qu’il réduise son temps de travail et veuille entretenir le contact avec ses enfants. C’est différent si son activité rémunérée était uniquement motivée par une perspective carriériste ou si le père ne veut s’occuper de ses enfants que pour avoir à payer une pension plus réduite.
La loi dit seulement que la garde alternée est examinée sur demande. D’après les votes du Parlement, elle doit pourtant être privilégiée. Est-ce que les tribunaux sont tenus de prendre en considération ces incitations ?
Ils doivent les prendre en considération. Mais pour ce qui est de la garde alternée, ils devraient maintenant se baser sur notre jurisprudence. Le Tribunal fédéral a clairement énoncé ce qui importe.
Si les critères sont remplis, la garde alternée doit-elle être prescrite lorsqu’elle est demandée ? Ou est-ce que les tribunaux peuvent aussi dire « Ça se passe bien comme ça, laissons donc l’enfant chez la mère. » ?
Mon pronostic est qu’on devra rendre la garde alternée possible lorsqu’elle est demandée et que les conditions sont réunies. La stabilité est un critère subsidiaire.
La garde alternée peut-elle désamorcer les situations conflictuelles ?
Il y a des études qui le disent. Mais puisque nous ne pouvons pas considérer une étude particulière comme étant la bonne, nous devons évaluer chaque cas. Là où il n’y a pas de soucis financiers, la garde alternée fonctionne en principe mieux. Certaines disent qu’elle fonctionne mieux et plus durablement lorsque les parents ont un niveau de formation élevé. Comprendre qu’il faut favoriser le contact de l’enfant avec l’autre parent requiert un minimum d’intelligence.
Cette intelligence manque-t-elle auprès des parents ?
Au vu des situations que nous traitons, elle ne vient pas de soi. Il y a des personnes que l’on considérerait comme intelligentes, qui par contre ne comprennent pas que le contact de l’enfant avec l’autre parent est important. Elles ont une relation perturbée avec leur ex-partenaire dont elles sont déçues et ne peuvent pas en faire abstraction quand il s’agit de considérer le bien-être de leur enfant. Lorsque la garde alternée est impossible en raison d’un manque de coopération et que l’un des parents n’a pas la tolérance au lien, on peut penser que celui ou celle qui favorise le contact à l’autre parent obtiendrait la garde exclusive.
Quelle est l’importance pour un enfant de vivre véritablement chez son père et chez sa mère, pas seulement en visite ?
C’est en principe dans l’intérêt de l’enfant, pour autant que les deux parents prennent le temps de s’occuper de l’enfant et de développer une relation. L’idée n’est pas que quelqu’un installe l’enfant devant la télévision et s’en aille boire une bière.
Interview par Claudia Blumer
[NDLR : En vigueur depuis le 1er janvier 2017, les modifications apportées au Code Civil prévoient que les tribunaux doivent désormais considérer la possibilité d’une garde alternée lorsque l’un des parents ou l’enfant le demande. Auparavant l’accord des deux parents était indispensable. Le Parlement privilégie ainsi le droit de l’enfant à entretenir une relation tant avec son père qu’avec sa mère.]